«5 steps before the elevator», c’est quoi cette méthode de branding/naming
2020-09-24Sur France Culture : de l’expérience de l’exil
2020-12-04Au mois de mars 2017, Delphine et moi avons parlé de notre engagement qui nous a amené à fonder Lettres Persanes. C’était à la Bellevilloise, devant 300 personnes qui sont venu assister à la soirée Inspire de SINGA.
C’est le brillent humoriste Karim Duval qui a eu l’idée de fil conducteur de ce talk. Pour la préparation, nous étions accompagnés par lui, Amélie Cornu et un bande d’étudiantes génialissime. (Blandine, Charlotte, Lucile, Manon et Amel, je vous aime toutes encore !) Je leurs ai dit face à quelle problématique j’ai crée Lettres Persanes. Mais nous avions mal à synthétiser l’idée pour le public, mais aussi coller mon histoire avec celle de Delphine. C’était exactement le moment où vous voyez dans l’image que, après avoir dit “je n’aime pas porter la cravate, mais les gens ici ne me comprennent pas ça”, que Karim a eu l’idée. Je vous laisse découvrir toute l’histoire plus bas. 😉
Rooh :
Bonjour ! Je m’appelle Rooh, je suis Iranien et je n’aime pas les cravates. Quand je vivais en Iran, la cravate était pour moi le signe de la domination de l’Occident. Pourquoi m’imposer ce bout de tissu qui pendouille et qui ne sert à rien ? J’ai toujours refusé de porter la cravate et méprisé ceux qui se pliaient à ce diktat de la mode occidentale.
Mais en 2009, je suis arrivé en France. Et là j’ai vu des gens qui portaient la cravate par choix, parce qu’ils aimaient sincèrement ce bout de tissu. J’ai compris que la réalité de la cravate était beaucoup plus complexe que son image : que certains la portaient par choix, d’autres par contrainte.
Je suis journaliste. Et en tant que journaliste, mon engagement, hier comme aujourd’hui, c’est très exactement cela : dire et faire connaître la complexité de la réalité. Mon engagement est tellement fort que j’ai dû quitter mon pays pour lui. En 2009, il y a eu des élections présidentielles en Iran. Le lendemain des élections, des dizaines de milliers d’Iraniens sont descendus dans la rue pour protester contre les résultats, qu’ils estimaient frauduleux. Les médias et les autorités ont affirmé le contraire, contre toute évidence. J’ai voulu dire que la réalité n’était pas celle des médias et des autorités. Pour cela j’ai été arrêté, emprisonné et j’ai choisi l’exil… en France.
En France, j’ai continué mon engagement. Je voulais dire et faire connaître la complexité de la réalité, la réalité de l’Iran. Que l’Iran n’est pas juste le pays des ayatollahs, des tchadors et des exécutions. Que c’est aussi le pays où 70% des étudiants à l’université sont des femmes, le pays de 2 millions de blogs et de 15 000 sites d’information, le pays du cinéma et de la poésie, le pays qui a produit la première femme lauréate de la médaille Fields, le Nobel des mathématiques. Mais comme en Iran, les médias étatiques refusent la complexité de la réalité, qui n’est pas seulement celle du régime, en France, les médias mainstream –privés ou publics – ne veulent pas parler de cette même complexité de mon pays. Tout ce dont ils veulent parler, c’est les ayatollahs et les tchadors.
Delphine :
Bonjour. Je m’appelle Delphine et je suis française. Rooh a fait le chemin de l’Iran à la France en 2010. A l’époque, j’habitais aux Etats-Unis et j’aurais dû devenir haut fonctionnaire. J’étais passionnée par les relations internationales et surtout par le Moyen-Orient. Et au Moyen-Orient il y avait un pays assez mystérieux, qui faisait partie de l’« Axe du Mal ». On disait que là-bas les femmes étaient opprimées, que les religieux décidaient de tout, que la liberté de la presse n’existait pas. Mais moi, j’aime bien gratter derrière la surface des choses, aller au-delà des apparences. Et j’avais l’impression que la réalité était beaucoup plus complexe que cela. Il n’y avait qu’un seul moyen pour savoir : y aller moi-même. Alors je suis partie en Iran une première fois. C’était il y a exactement 3 ans, en mars 2014. Et j’ai vu que la réalité était très loin, très très loin, de ce que ce que je lisais ou ce que j’entendais. Alors j’y suis retournée, puis retournée, puis je me suis installée là bas, pour mieux absorber cette complexité.
Rooh :
Je vais vous donner un exemple. On va parler de l’Iran, et on va parler d’un sujet qui fâche : les femmes. L’année dernière j’ai été contacté par une grande chaine publique de télévision pour être interviewé à propos d’une histoire sur les femmes iraniennes. Les médias français s’étaient emparés de cette histoire de femmes iraniennes qui se seraient toutes mises à faire du vélo en violation de la loi religieuse qui soit-disant leur interdirait. Soit. Donc je suis allé sur cette chaîne, et j’ai expliqué que la réalité était plus complexe. Cela faisait des mois que des associations environnementales en Iran avaient lancé une campagne pour promouvoir le transport à vélo, plutôt qu’en voiture. Il se trouve que certaines de ces associations étaient menées par des femmes. Certaines d’entre elles ont organisé « des manifestations » à vélo pour inciter leurs concitoyens à faire de même et protester contre la pollution. D’ailleurs la loi n’interdit pas le vélo aux femmes en Iran, même si certains religieux n’aiment pas cela.
Voilà, c’est l’histoire des femmes à vélo. Mais pour les médias mainstream, parler d’un engagement écologique, c’était beaucoup moins sexy que parler de l’oppression des femmes iraniennes et de leur manifestation féministe à vélo. Mais attention, ce n’est pas seulement la responsabilité des médias : c’est le public qui veut entendre ce genre de choses, qui est coresponsable. Car la complexité, le public n’aime pas. Le public aime l’image des femmes iraniennes victimes, persécutées, privées de liberté. Ou alors les femmes iraniennes en hijab Gucci, qui se font refaire le nez et portent trop de maquillage. Mais ce qu’il y a entre les deux, le public n’aime pas.
Delphine :
Cette histoire de vélo, elle m’inspire aussi. Car mon engagement, un de mes engagements, il est féministe. Pour moi, le féminisme ne se limite pas à mettre les gens dans des cases et en faire des victimes. En Iran, j’ai vu des femmes religieuses ou pas du tout religieuses, des femmes au foyer et des femmes chefs d’entreprise, des femmes militantes et d’autres non. J’ai vu que les femmes ne sont pas des victimes, qu’elles se battent, et que leur engagement a 1001 facettes. Mais depuis que je suis rentrée, à chaque fois que je dis que j’ai vécu en Iran, on me demande : « Mais ça va, t’as survécu ? Et en tant que femme, tu étais oppressée ? Tu avais le droit de sortir ? de conduire ? La burqa, c’est pas trop difficile ? ». Alors mon engagement, à ma manière, c’est de raconter l’Iran et les Iraniennes. C’est de leur donner la parole à travers mon travail, à travers ma voix quand je peux, de faire connaître leur combat et leurs actions, de dire leur complexité.
Rooh :
Ce que nous disons à propos des femmes iraniennes, c’est vrai pour beaucoup d’autres sujets et beaucoup d’autres pays. Mais moi, j’ai choisi de concrétiser mon engagement en choisissant l’Iran car c’est mon pays. Donc j’ai eu l’idée de lancer un média indépendant qui raconte la réalité de l’Iran que je connais, un Iran complexe. Un média en français, dont toute l’information vienne de l’Iran même, parce que ceux qui le vivent le racontent le mieux. Un média qui traduit le meilleur de la presse et des blogs iraniens, et qui a pour devise : Suivez l’Iran depuis l’Iran !
Pour lancer ce média, je cherchais un ou une partenaire français. Je voulais que l’équipe soit à l’image de notre double enracinement : franco-iranien. Donc je me suis mis à chercher la perle rare. J’ai fait passer des entretiens et un jour, Delphine est rentrée dans mon bureau.
Delphine :
En fait, on s’est croisés dans une soirée, un verre de mojito à la main.
Rooh :
On a parlé. J’ai bien aimé cette pauvre française migrante, fraîchement rentrée d’Iran, qui était au chômage. Elle avait fait Normale sup et Harvard, j’ai décidé que ça pouvait faire l’affaire.
Delphine :
Quand même, j’avais planté l’ENA…
Et ensemble, on a lancé Lettres Persanes, notre média. C’est un média indépendant, engagé, qui parle de politique, d’économie, de société et de culture iraniennes, en s’appuyant toujours sur l’information à la source, qui vient directement d’Iran.
Rooh
Le sens de notre engagement, c’est à travers ce média, avoir un impact dans notre entourage et sur la société française, à la hauteur de nos moyens. C’est changer l’image de l’Iran, faire tomber les barrières, les préjugés et les caricatures, et montrer que la réalité est complexe.
Et donc aujourd’hui, ça m’arrive de porter une cravate, même si je n’aime toujours pas ça. J’ai arrêté de penser qu’il n’y a qu’une façon de vivre le port de la cravate, et de mettre les hommes français qui la portent, comme il faut arrêter de mettre l’Iran et les femmes iraniennes dans des cases. J’ai admis que cette histoire de cravate, c’est bien plus complexe que ce que je pensais.
Discover more from Rooh Savar
Subscribe to get the latest posts sent to your email.