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2023-07-16

Thomas Piketty ou Bernard Arnault ? Héritage ou persévérance ?

Avez-vous aperçu cette citation de Bernard Arnault sur Instagram de Forbes pendant vos vacances ? Une partie de mon vécu est d’accord avec l’idée mentionnée là-dedans.

Bien souvent, la différence entre la réussite et l’échec réside dans la persévérance.

Bernard Arnault

J’ai lu cette citation de Bernard Arnault sur Instagram de Forbes. Une partie de mon vécu est d’accord avec l’idée mentionnée mais elle est démentie par la majorité de 40 ans d’expérience de ma vie si tourmentée mais aussi par les travaux des chercheurs. Bien qu’au XXe siècle le mythe de mérite individuel fût prédominant, aujourd’hui nous savons que les réussites (et par conséquent les échecs) sont plutôt structurelles et systémiques.

L’histoire d’Antoine vs Kevin, vs Delphine, vs Moustafa et Fatoumata

Le rôle de l’individu est prédéfini dans le cadre social (classe sociale, famille, genre etc.) or il est relatif. Tandis que l’impact des éléments sociaux est définitif. Par exemple, on peut dire qu’entre Antoine et Alexandre, les deux fils de Monsieur Arnault, celui qui est plus persévérant “bien souvent” sera successful. Ou alors entre Kevin et Hugo issue du milieu rural la règle reste le même. En revanche, l’histoire est complètement différente entre Kevin du Pont et Antoine Arnault car tout simplement ils n’ont pas accès aux mêmes ressources. Si Antoine décide de lancer une start-up dans l’intelligence artificielle pour optimiser le fonctionnement des entreprises de son père, il n’aura pas de problème structurel. Il peut facilement lever du capital pour ensuite recruter les meilleurs managers, ingénieur en informatique, commerciaux etc.

Du côté de Kévin les choses sont différentes. Pour ouvrir une boutique dans un coin de sa petite ville, ce brave gars doit prouver à son banquier qui est solvable pour que ce dernier lui accorde un crédit. S’il réussit à obtenir ce premier argument, ce sera que le début d’une longue histoire de galère pour qu’un jour ce business devienne stable et rentable. Au passage, il peut manquer d’une certaine compétence car il n’a pas fait une école de commerce. Donc il risque de ne pas pouvoir bien gérer sa trésorerie au départ. En revanche il connaît bien sa ville, il a de bonnes relations avec les habitants, il est malin, curieux et innovant. Dans cinq à dix ans il peut stabiliser les comptes de la boutique et prouver à son banquier qu’il est crédible pour demander un prêt immobilier pour enfin acheter un toit pour sa famille. Mais il s’endette pour vingt ans.

Voyez-vous ? On peut relativiser la place de la persévérance dans la réussite d’Antoine par rapport à Kévin. On peut appliquer la même grille de lecture entre Delphine (la fille de Bernard Arnault) et ses frères. Le chemin de réussites pour une femme ne sera pas la même que les hommes. On peut aussi comparer Kévin avec Moustafa ou Fatoumata, des jeunes entrepreneur-e-s français mais avec des parents immigrés. On peut aussi différencier le chemin de ses deux derniers avec un certain RoohSavar, lui-même immigrés arrivants en France sans même parler la langue.

Je ne suis pas un déterministe social. Mon parcours personnel le démonte je pense. Mais je crois aussi qu’il existe des inégalités structurelles et systémiques qui créent des points de départ complètement différents pour les uns et les autres. Je suis persuadé que “bien souvent” ce sont ses factures qui définissent la réussite ou l’échec des gens quand ils veulent attendre un objectif situé à un niveau supérieur par rapport à ce que la société leur a déjà permis. Cette grille de lecture m’aide à rester humble lors de mes courtes périodes de succès mais aussi être résilient quant aux nombreux épisodes de galère.

Les chercheurs l’ont déjà prouvé

Selon Thomas Piketty, l’auteur du livre Le Capital au XXIe siècle, publié en 2013 qui a connu un succès mondial, l’héritage est la première cause d’inégalité en France, où il représente environ 60 % du patrimoine national. Il souligne que les héritages sont très concentrés au sommet de la distribution, créant des « dynasties d’héritiers » qui possèdent des fortunes colossales. Il propose donc de réformer la fiscalité de l’héritage, en augmentant les droits de succession pour les plus grandes transmissions et en favorisant les donations entre vifs (c’est-à-dire du vivant du donateur). Il suggère aussi de créer un impôt mondial sur le capital, afin de limiter l’évasion fiscale et de financer le développement social.

Thomas Piketty analyse l’évolution de la répartition du capital, du patrimoine et du revenu depuis le XVIIIe siècle dans une vingtaine de pays. Il montre que la part de la richesse héritée dans le patrimoine total a augmenté depuis les années 1970, après avoir connu une forte baisse au cours du XXe siècle. Il explique ce phénomène par le fait que le taux de rendement du capital (c’est-à-dire le rapport entre les revenus tirés du capital et la valeur du capital) est supérieur au taux de croissance économique. Ainsi, les détenteurs de capital voient leur richesse s’accroître plus vite que celle des travailleurs, ce qui renforce les inégalités entre les générations et entre les classes sociales.

Faut-il hériter pour réussir ?

Thomas Piketty n’est pas le premier chercheur qui s’est intéressé au sujet. Nous connaissons la place de l’héritage et transmission dans la sociologie de Pierre Bourdieu. D’autres comme Passeron nous ont appris de l’inégalité des chances.

En sociologie, l’héritage désigne l’ensemble des biens, des droits, des valeurs, des normes, des savoirs et des pratiques qui sont transmis d’une génération à l’autre au sein d’un groupe social. L’héritage peut être matériel (par exemple, l’argent, les biens immobiliers, les objets) ou immatériel (par exemple, le langage, la culture, le capital social).

L’héritage conditionne la réussite de plusieurs façons. Tout d’abord, il influence le niveau d’éducation et de formation des individus, qui sont des facteurs déterminants pour accéder à des emplois qualifiés et rémunérateurs. En effet, les enfants issus de milieux favorisés ont plus de chances de bénéficier d’un environnement familial et scolaire propice à l’apprentissage et à la valorisation de leurs compétences. Ils disposent également de plus de ressources financières, culturelles et relationnelles pour poursuivre leurs études supérieures et se constituer un réseau professionnel. À l’inverse, les enfants issus de milieux défavorisés sont souvent confrontés à des difficultés économiques, sociales et culturelles qui limitent leurs opportunités éducatives et professionnelles.

Ensuite, l’héritage influence la position sociale et le statut des individus au sein de la société. Il peut être un facteur de reproduction ou de mobilité sociale. La reproduction sociale désigne le processus par lequel les individus occupent la même position que leurs parents dans la hiérarchie sociale. La mobilité sociale désigne le processus par lequel les individus changent de position par rapport à leurs parents dans la hiérarchie sociale. L’héritage peut favoriser la reproduction sociale en permettant aux individus de conserver ou d’accroître leur capital économique, culturel et social. Il peut également favoriser la mobilité sociale en permettant aux individus de compenser leur faible capital économique ou culturel par un fort capital social ou par des stratégies d’investissement ou d’innovation.

Enfin, l’héritage influence le sentiment de satisfaction et de bien-être des individus. Il peut être une source de fierté, de reconnaissance, d’appartenance ou de sécurité. Il peut aussi être une source de frustration, de culpabilité, de conflit ou d’insécurité. Le rapport à l’héritage dépend en partie du contexte historique, social et culturel dans lequel il s’inscrit. Il dépend aussi du choix personnel des individus d’accepter, de refuser ou de transformer l’héritage qu’ils ont reçu.


Quelle est votre opinion sur le sujet ? N’hésitez pas à me la partager en réponse de cet e-mail ou dans les commentaires.

Bon été, 🌴🌊

RoohSavar


Pour approfondir ce sujet, vous pouvez consulter les sources suivantes :

(1) Faut-il hériter pour réussir ?
(2) Héritage et transmission dans la sociologie de Pierre Bourdieu.
(3) « Les Héritiers » : ce que Bourdieu et Passeron nous ont appris de l’inégalité des chances.
(4) L’héritage, première cause d’inégalité en France, s’invite dans la campagne présidentielle
(5) L’héritage profite aux riches – Observatoire des inégalités


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